Un blogue fait par et pour les élèves du collège Marcel Aymard, pour leurs amis, leurs parents et tous ceux, curieux et bienveillants, qui ont envie de découvrir ce que rêvent, pensent, sentent... et écrivent les jeunes plumes.

Le meilleur des mondes ? Et le nôtre ?

Une lecture commentée d'un roman d'anticipation, Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley : Audrey (Troisième) répond à deux questions.

- Pouvez-vous nous décrire le monde futuriste imaginé par Huxley ?

-  Cette histoire se passe au lendemain d’une guerre de neuf ans. Le monde est divisé en deux : celui qui correspond au nôtre, où des « sauvages » vivent dans des réserves, et celui du meilleur des mondes, « l’Etat mondial », dont la devise est  « Communauté-Identité-Stabilité », et où évoluent nos héros. Séparés par des clôtures électriques, ces deux mondes sont différents en de nombreux points. Ainsi, dans l’Etat mondial où le seul culte permis est celui de Ford, les hommes sont classés dans cinq catégories nommées « castes » : les Alphas (grands, beaux, intelligents, ils sont habillés en gris), les Bêtas (intelligents, ils sont faits pour occupés les fonctions importantes et sont vêtus de rose), les Gammas (classe moyenne vêtue de vert), les Deltas (en kaki), et les Epsilons (en noir) sont les castes les plus basses, chargées des fonctions manuelles les plus simples, sont petits et laids.


Dans ce monde, les êtres humains sont fabriqués dans des centres d’incubation et de conditionnement où leurs goûts, leur personnalité et leur physique sont déterminés à l’aide de traitement sur les embryons afin qu’ils correspondent à leur future position dans la société, préalablement définie par le service de destination. Une méthode d’enseignement les conditionne également durant leur sommeil, créant une morale commune : « tout le monde appartient à tout le monde ».


          Ce système diminue le chômage car le nombre de personnes nécessaires dans chaque fonction de la société est créée en laboratoire. La nature est haïe pour des raisons notamment économiques. La sexualité n’étant plus, comme le désir, qu’un loisir encouragé depuis le plus jeune âge, où le nombre de partenaires est illimité et la fidélité superflue, la jalousie en couple n’existe plus. L’Histoire et la religion ne sont plus enseignées, donc toute trace des anciens systèmes a disparu.


    Les possibilités de contestations et les risques de mal être sont écartés grâce à cette méconnaissance et à la vulgarisation d’une drogue appelée « soma », qui plonge dans un sommeil paradisiaque donnant l’impression de bonheur. Son seul effet secondaire est de diminuer l’espérance de vie ; la vieillesse est rare, et la mort habituelle est acquise par la population.

       Les castes supérieures méprisent les castes inférieures tout en reconnaissant leur nécessité, ainsi, la jalousie n’existe pas entre les castes, et l’impression de bonheur est complète. Au contraire, la solitude, l’amour et la désobéissance sont mal vus.

       Dans les réserves à « sauvages », les habitants se reproduisent, grossissent, vieillissent, croient en Dieu, et n’ont aucune trace de science dans leur vie. Contrairement au Meilleur des mondes, la famille, le mariage, et la maternité sont des notions reconnues.



- Vous parait-il vraisemblable qu'un tel futur nous attende ?


- Le Meilleur des Mondes, écrit en 1931 par Aldous Huxley, est une critique de la société de consommation de son époque et des régimes totalitaires, alors en vogue. Ce monde décrit par Huxley est celui qui aurait pu exister aujourd’hui. Est-ce toujours d’actualité ? La réalisation de ce monde faussement démocratique qui prône la stabilité est-elle toujours possible ?

Tout d’abord, les avancées scientifiques et technologiques sont en effet aujourd'hui nombreuses, à commencer par le clonage et la fécondation in vitro, ou les voyages spatiaux. Et la sexualité est devenue quelque chose de courant, tout autant que la drogue, et dès le plus jeune âge. Avoir des petits copains et copines (ou les deux) est devenu habituel voire obligatoire.

La nature est néanmoins redécouverte et appréciée à sa juste valeur et la naissance reste plutôt naturelle.

Peut-être que notre gouvernement est capable de nous formater afin de nous faire entrer dans des cases prédéfinies. La télévision, internet et les journaux sont des moyens de diriger l’opinion publique. Ainsi, la société dans laquelle nous vivons dit être pour les libertés, mais se confine dans sa peur d’être mal vue.

Toutefois je la pense incapable de mettre en place un tel système décrit par Huxley. Il reste à espérer que les valeurs morales, le respect, la valeur de la vie humaine, de la nature, de l’individualité, l’acceptation de l’imperfection physique et du monde en général, soit assimilés, et que la confiance donnée aux états ne soient pas dupée pour éviter de tomber la réalisation de cette dystopie.

En conclusion, je dirais que notre morale repose sur des normes sociales qui brident la société. Chaque individu veut être conforme le plus parfaitement possible à cette société dans laquelle il vit. Cette recherche incessante de la perfection pourrait nous conduire peut-être doucement mais sûrement vers le monde futuriste de Huxley qui est loin d’être souhaitable.

Puisqu'avec des ailes on rejoint les îles...

            Variations sur le poème "Îles" de Blaise Cendrars

                                                           AILES





Ailes
Ailes
Ailes immaculées, couleur d'ivoire et de nuages
Ailes qui plongent, piquent et nagent dans le ciel
Ailes noires de jais, douces comme de la soie
Ailes qui comme la feuille prise dans le vent voltigent
Ailes très belles qui comme une tige de pissenlit
volettent en toute grâce et légèreté
Mais  Ailes couleur de réglisse et maculées de pétrole
Icare, je te vénère d'avoir eu des ailes et d'avoir vogué dans le ciel

Cyan (Sixième)

Ailes
Ailes 
Ailes que l'on ne touchera jamais
Ailes qui froufroutent toujours dans l'air
Ailes vêtues de noir ou de bleu
Ailes blanches comme la neige
Ailes si légères
Ailes si moelleuses
J'aimerais bien vous toucher et faire comme vous.

Louis (Sixième)


  AILES
   AILES
    AILES  QUI  VOYAGENT
     AILES  QUI  VOIENT DU  CIEL
      AILES  QUI  VOLENT  COMME  UNE  HIRONDELLE
       AILES  QUI  SONT MUETTES
        AILES  QUI  AIMENT
         AILES  QUI  SONT  SI  BELLES
           JE  VOUDRAIS  VOLER  COMME  ELLES


                                                                                                       Cassandre (Sixième) 


Ailes 
Ailes
Ailes comme des nuages
Ailes sans âge
Ailes dont j'ai besoin pour monter plus haut
Ailes qui me feraient ange avec un halo  
Ailes qui me permettraient d'aller jusqu'à toi
Ailes, volons au-dessus des toits
Ailes prenez -moi avec vous
Ailes, volons au-dessus des loups
Ailes vous êtes deux
J'aimerais monter jusqu'aux dieux

Loïc

Le commissaire Newcomen aux trousses de Monsieur Hyde



 Un récit policier à six mains : le point de vue de Newcomen dans l'affaire Hyde...

Le commissaire Newcomen était assis dans son large fauteuil comme toutes les nuits depuis maintenant deux ans. Il se tenait jambes croisées, sourcils froncés, la bouche pincée comme chaque fois qu’une idée lui trottait dans la tête. C’était un bel homme, encore jeune, issu d’une famille plutôt aisée. Il se présentait toujours chic et élégant : il portait un costume noir, des bottines cirées, un haut de forme : un vrai gentleman. Sa voix était rauque. Il possédait la manie agaçante de claquer la langue contre son palais à tout moment. Néanmoins il plaisait beaucoup aux dames grâce à son charisme d’homme sûr de soi. Il faut dire qu’il avait tout réussi dans sa vie : sa carrière était brillante, il tenait une belle place dans la société. Cet homme, assoiffé de gloire, ne recherchait que la célébrité. Il voulait être le meilleur dans toutes les catégories. Et quand il remportait la moindre réussite, il ne se privait pas d’en parler. Il avait choisi la voie de la justice : quoi de mieux que de résoudre de croustillants meurtres pour voir votre nom sur les lèvres de tout le monde ?

Cette nuit-là, son subordonné fit irruption dans son bureau : « Une domestique a assisté à un meurtre », dit-il. Intrigué, le commissaire corna la page de sa lecture puis suivit l’agent au bureau principal. Sur une chaise se tenait une femme plutôt petite, le regard vide, fixant un point inexistant. Newcomen s’était assis devant elle, la faisant revenir à la vie. Elle l’avait fixé d’un regard sombre, presque effrayant, et avait murmuré d’une voix étrangement calme : « M. Hyde. C’était lui. Le meurtrier. Il l’a tué sous mes yeux. Un pauvre homme. Il ne s’est même pas défendu. »

Newcomen avait l'habitude de ce genre d'affaire. Néanmoins une difficulté se présenta : Hyde n’était inscrit sur aucun registre. Il devait être nouveau dans le coin. Le commissaire se dirigea donc sur le lieu du crime. Il inspecta le corps et les alentours. Sous la lumière crépusculaire, les coups que la victime avait subis étaient à peine visibles. Sa bouche était entrouverte et le sang qu'il avait perdu n'était pas encore sec. Son costume et sa cravate étaient tachés de terre et de sang. Ses traits étaient détendus, il semblait dormir. Le commissaire soupira et s’approcha de la victime. Il grimaça en voyant l’état du visage  de l’homme ; il s’accroupit à sa hauteur. « Pauvre homme », murmura-t-il. Il laissa son regard parcourir le corps du défunt. Il s’arrêta sur un bout d’enveloppe qui dépassait de son manteau. Sa curiosité fut attisée et d’un geste rapide il souleva l’habit. Une lettre avait glissé de l’une des poches. Il la prit, la retourna et put y lire le nom d’un certain Utterson. Un sourire presque vorace apparut sur les lèvres du commissaire. Il se releva précipitamment, brandit la lettre au-dessus de sa tête et clama : « J’ai une piste ! » Quelques minutes après, l’enquêteur découvrit un peu plus loin l’arme du forfait : un morceau de canne. L’inspection terminée, le commissaire se promit d’aller rendre visite à ce fameux Utterson dès la venue du matin.

C’est ce qu’il fit. Devant sa porte, Newcomen toqua trois fois. Il fut bientôt introduit par un domestique auprès du propriétaire, Utterson, notaire de son état. Il lui expliqua les faits et la présence de son nom sur la lettre retrouvée sur le corps. Il vit que le notaire était très intéressé par cette histoire, et qu’elle le rendait nerveux ; mas le commissaire se promit de ne pas tirer de conclusions hâtives. Il tendit la lettre à Utterson qui le remercia, la prit et l’ouvrit. Newcommen fut déçu : le notaire n’en révéla pas le contenu. Le commissaire se contenta de claquer la langue contre son palais. Il trouvait cet homme trop silencieux et bien trop mystérieux. Il se fit la promesse de garder sur lui un œil attentif. C’est à ce moment qu’Utterson releva la tête de sa lecture. Il demanda à voir le corps.

Entré dans la cellule où reposait la victime, Utterson affirma le reconnaître : il s'agissait selon lui de sir Danvers Carew. A cette annonce, le commissaire claqua à nouveau la langue contre son palais et cria presque : « Un noble ? Alors cette affaire ne fera pas doubler mais tripler ma réputation ! » Newcomen se sentit pousser des ailes. Si il réussissait à arrêter le coupable, son nom apparaîtrait sur les lèvres de tous les citoyens et ferait la une de tous les journaux. Il voyait déjà les gros titres : «L'exploit du commissaire Newcomen ! », ou «L'arrestation de Hyde par l'extraordinaire Newcomen !», ou « Le célèbre Newcomen récompensé pour son incroyable arrestation d'un dangereux criminel !». Il surprit sur lui le regard pesant d’Utterson et se ressaisit en adoptant un comportement plus professionnel.  Il désigna à Utterson l’arme du crime. Ce dernier ne réagit pas mais Newcomen aurait juré avoir vu une lueur de peur briller un instant dans ses yeux. Une pensée traversa l’esprit du commissaire : « il est trop louche pour être innocent. Je mettrais ma main à couper que cet homme est lié – volontairement ou non – à cette affaire. »
« Avez-vous identifié le meurtrier ? »
Newcomen posa fixement les yeux sur Utterson. Pouvait-il lui dire ? Après tout, il le gardait à l’œil.
« Un certain Monsieur Hyde. Le connaissez-vous ? »
Les deux hommes s’affrontèrent du regard quelques secondes puis Utterson avoua : « Effectivement je le connais. Et je peux vous mener à ses appartements ». Voilà une chose de plus qui étonna Newcomen : ainsi il connaissait le présumé agresseur ? Bien entendu il ne refusa pas l’aide du notaire et c’est ainsi qu’ils partirent en direction du logis de Monsieur Hyde.


Ils montèrent tous deux dans un cab ; durant le trajet qui les menaient à Soho, les deux compagnons restèrent silencieux. Il était neuf heures du matin mais le ciel était encore obscur. Le brouillard se levait tout de même peu à peu pour laisser place aux quelques rayons de soleil qui essayaient de percer. Arrivés au domicile du principal suspect, ils sortirent du cab et restèrent immobiles un instant. La fraîcheur matinale envahit le commissaire qui observait la façade lugubre de l'appartement. Le quartier de Soho était l'un des plus pauvres de Londres. On se croyait dans un autre monde, où le bonheur n'existe pas. Les habitants étaient renfermés, froids, distants. Ils vous regardaient avec un air si hostile qu'il vous faisait frissonner. Leurs vêtements étaient sales, trop petits. Il y régnait un silence épouvantable, et de temps en temps le cri perçant d'une femme ou d'un enfant battu venait vous glacer le sang.
Ils allèrent frapper à la porte de la bâtisse, dépourvue de sonnette. Une vieille femme vînt ouvrir, M. Hyde n'étant pas là. Utterson demanda à voir ses appartements mais elle refusa. Le commissaire dut alors jouer sur son autorité. La vieille sembla éprouver de la joie quand elle sut que Hyde avait des ennuis avec la police et les laissa entrer.


Il y régnait dans l’appartement un désordre épouvantable qui venait sans doute du départ précipité du fugitif. Un grand lit à baldaquin trônait au milieu de la pièce. Les tiroirs d'une commode et d'une table de nuit en chêne étaient ouverts, l'un était à terre, renversé. Des vêtements tâchés (certains de sang) jonchaient le sol, des objets cassés avaient été jetés par terre et des papiers qui venaient d'être brûlés remplissaient la cheminée. Sur les murs, des tableaux de grands peintres recouvraient la vieille tapisserie.
D'après la vieille dame, cela faisait près de deux mois que l'intéressé n'était pas venu, avant la courte visite de cette nuit. Derrière la porte de sa chambre, Utterson reconnut l'autre moitié de la canne. Le commissaire et lui se regardèrent un instant : cela venait confirmer officiellement leur soupçon.
Le commissaire décida de publier un signalement de Hyde. Il interrogea toutes les personnes l'ayant déjà rencontré, susceptibles de le décrire. Car en effet, sa famille restait introuvable et il ne s'était jamais fait photographier. Mais toutes les personnes ne répondaient qu'une chose : l’air antipathique et diabolique qui se dégageait de ce petit être était la seule image qui leur revenait à l'esprit...
Newcomen retrouverait le fugitif, il en était sûr. Il se disait en lui-même : « j’aurai bien vite résolu cette affaire ! » Hé bien, c’est ce qu’il croyait…

Anissa, Léa et Naïs, Quatrième

Si vous voulez connaître le fin mot de l'histoire, lisez Le cas étrande du Docteur Jekyll et de Monsieur Hyde, de Robert Louis Stevenson
http://www.musicalavenue.fr/files/image/actualite/2012/02_Fevrier/jekyll_and_hyde.jpg

Face au Sphinx



              L’air était lourd, le ciel menaçait d’éclater en sanglot. Le pauvre Œdipe se trouvait face au légendaire et effrayant Sphinx, son destin devant lui. Le Sphinx avait une tête de femme et une poitrine généreuse. La fourrure soyeuse et en même temps agressive du félin recouvrait ses pattes griffues, son ventre plat, et son dos hirsute. Des ailes splendides, d’un gris triste et pâle, étaient enracinées à ses épaules musclées. Le sourire du monstre était malicieux, il y avait un rictus sur ses lèvres presque moqueuses ; cette chose dégageait une odeur de mort  et on savait tout de suite que cette chimère était vicieuse. Œdipe, fatigué et affaibli, n’était même pas surpris : il s’était préparé à le trouver sur son dangereux chemin semé d’embûches. Il aurait préféré rencontrer la chimère sur un passage moins accidenté qu’une falaise car le Sphinx s’agrippait à lui tel un monstre sanguinaire dévorant sa faible proie et l’équilibre d’Œdipe vacillait comme une bougie face au vent. Un inquiétant silence s’installa. Soudain, la créature parla, d’une voix sombre et ténébreuse :
Gustave Moreau, Oedipe et le Sphinx, 1864
            

    « Je te salue noble voyageur,
       Vis ou meurs,
       Telle est la rumeur,
       Qui court les sentiers jusqu’à ton cœur,
       Réponds juste ou arrive ton heure ! »

Le Sphinx fit une pause. Voyant qu’Œdipe ne bougeait pas, la créature continua :

« Quel est l’être qui marche sur quatre pattes le matin, sur deux à midi et sur trois le soir ? »

Sans qu’Œdipe s’en rende compte, il suffisait d’un simple mot pour que son terrible destin empoisonné s’accomplisse selon ce que les maudits Dieux voulaient de lui depuis le début. Œdipe, fort mal à l’aise, à cause de  la posture du gardien, répondit sans même réfléchir :

         « L’Homme ! »

Le Sphinx, une larme dorée perlant à son œil et coulant sur sa joue, se retira aussitôt et le ciel lui-même se brisa sous la foudre pour laisser place à de grosses gouttes tristes et maladives…
Fuyant Corinthe, en entrant dans la cité de Thèbes, le pauvre et maudit Œdipe, scella son sort en se rapprochant involontairement de ce qu’il évitait.
                

     « Œdipe, à cause du Destin haineux,
                Dans un futur proche et malheureux,
                Maudit par les Dieux,
                Fourbes et vicieux,
                Se crèvera les yeux,
                Et mourra sous peu… »
                                                                                                                                       E.C. (Troisième)


Une autre "Apparition"... : suite fantastique

(Suite fantastique donnée au début de la nouvelle de Maupassant intitulée Apparition : Le vieux marquis de la Tour Samuel, âgé de 82 ans, avoue à ses hôtes avoir vécu une étrange aventure, tellement étrange qu'elle est devenue l'obsession de sa vie.)


Le vieux marquis reprit son souffle. On pouvait voir les traits de son visage se crisper sous la peur qu’il subissait tous les jours à cause de l’effroyable aventure nocturne qu’il s’apprêtait à raconter.  Il posa son regard vitreux sur ses interlocuteurs qui l’écoutaient attentivement. Après une minute de silence il reprit d’un ton faible :
         « Je vais vous raconter ce qui s’est passé cette nuit là. Vous pouvez me prendre pour un fou, cela m’est égal car ce que j’ai vu était  à mes yeux bien réel. Je me souviens de chaque seconde, chaque bruit, chaque chose que j’ai vus. Mais comme toute mésaventure, il faut une cause. Voici la mienne. Dans ma jeunesse j’ai commis une grave erreur, une erreur qui me poursuit encore aujourd’hui. Lorsque j’avais vingt ans, j’avais tout pour moi : J’étais beau, jeune, fort et je pouvais détenir le cœur de n’importe qu’elle femme. Je tenais grâce à ma naissance, une place importante dans la société. J’étais donc souvent convié à des bals, des salons et d’autres cérémonies en tout genre. A cette époque-là  je ne recherchais que la richesse, la gloire et la puissance. Mon désir eut la chance de croiser le chemin de la Marquise de Bourguignon, une riche héritière : elle avait la plus grande fortune de France. Mais la pauvre fille, bien que riche avait peu de prétendants. Elle n’avait point de charme et était tellement sotte qu’aucun homme ne voulait entendre parler d’elle. Mais n’écoutant que ma soif de gloire, je la séduisis et devins rapidement son époux. »
Après ce bref récit pour évoquer l’origine du drame, Le marquis se posa sur sa chaise. Il passa sa main sur son front ridé pour essuyer la sueur qui perlait. Il était comme figé, incapable de bouger ou prononcer un seul mot. Il devait néanmoins se libérer du poids qui pesait lourd sur sa poitrine. Il continua, plus fatigué que jamais :
« Alors que mon épouse était en train de mourir d’une maladie incurable, j’étais en train de jouer aux cartes. Son état de santé ne me préoccupait guère puisque j’allais hériter de sa fortune. Quelques heures plus tard, elle mourut avec seulement notre domestique à son chevet. Je n’étais ni touché ni attristé.

Une semaine après, alors que je faisais une balade dans la forêt à une heure tardive, Je me sentis comme observé. J’accélérai donc le pas mais mon inquiétude ne cessa de grandir. A un moment, je crus entendre des craquements de feuilles et de branches. J’essayais de me rassurer en me disant que ce n’était qu’un animal qui passait par là. La nuit commençait à tomber et les bruits se faisaient de plus en plus fréquents.

 Je pensais perdre la tête, devenir fou. Je me mis à courir entre les branches qui donnaient l’impression que des ombres de monstres étaient prêts à vous dévorez. Ma respiration se bloquait, je ne distinguais plus rien ; mais j’aperçus enfin une vieille église abandonnée, à peine éclairée par la lune. Je voulus m’y réfugier. Affolé, j’y courus à toute vitesse mais des bourrasques de vent me ralentirent. J’avais l’impression qu’on me suivait. Enfin à l’intérieur, complètement épuisé, je mis mes mains sur mes genoux pour avoir un appui. Mes jambes tremblaient, j’avais l’impression qu’une tempête me tombait dessus. Le vent était si fort que je dus me coller contre un mur. Je ne distinguais plus rien, L’église était plongée dans le noir. J’étais perdu. J’avais le sentiment d’être aspiré par un trou noir ou d’être égaré au beau milieu d’un océan. Puis d’un seul coup les cloches de l’église résonnèrent. Ce lourd tintement vibrait dans ma tête, provoquant une douleur insupportable. Après un moment qui me parut interminable le silence se fit. Il était encore plus effroyable. Je me mis à regarder autour de moi dans l’espoir de voir quelque chose. La seule chose que je vis était une lueur blanchâtre qui se dirigeait lentement vers moi. Je croyais me trouver dans un rêve, mais je  fus horrifié de reconnaitre ma défunte épouse qui se positionna devant moi comme un fantôme. Cela me paraissait impossible mais pourtant c’était bien ce que je voyais. J’étais bouche bée. Cette forme scintillante ou ce fantôme -je ne sais trop de quoi il s’agissait- me fixait d’un regard meurtrier, cela me glaça le sang. La défunte me dit alors d’une voix grinçante :
            « Oui, c’est bien moi mon cher et tendre époux. Quel bonheur que de te voir effrayé. Tu es si peureux et naïf. Comment as-tu osé me laisser seule avec la domestique pendant mes derniers instants ? Tu vas payer pour ça. Je te maudis ! Désormais tu auras peur de la nuit, tu ne dormiras plus, tu vivras l’enfer sur terre, voilà tout ce que tu mérites. »
              Le conteur ferma les yeux. Il était secoué par la violence de ses propres mots. On aurait pu le prendre pour un malade mental. Il avait les cheveux hirsutes, ses yeux sortaient presque de leurs orbites et les traits de son visage étaient tendus. Il finit par conclure :
            « Depuis ce jour et comme elle me l’avait annoncé je vis un vrai enfer. Je ne l’ai plus revue, mais je sens encore sa présence qui me suit n’importe où. Je ne saurais comment expliquer rationnellement  ce qui s’est passé cette nuit-là et c’est ce qui me terrifie le plus. Mais désormais je suis sûr que les esprits des défunts subsistent et deviennent des fantômes qui reviennent accomplir leurs vengeances. »
             Toutes les personnes présentent se regardèrent troublées par ce récit. Toutes se posaient la même question : les fantômes sont-ils une légende ou une monstrueuse vérité ? Une chose était néanmoins sûre, le doute serait désormais ancré dans leurs esprits.
N. (Quatrième)