Un blogue fait par et pour les élèves du collège Marcel Aymard, pour leurs amis, leurs parents et tous ceux, curieux et bienveillants, qui ont envie de découvrir ce que rêvent, pensent, sentent... et écrivent les jeunes plumes.

Sur l'eau... suite fantastique



                    Le fleuve était parfaitement tranquille, mais je me sentis ému par le silence extraordinaire qui m'entourait. Toutes les bêtes, grenouilles et crapauds, ces chanteurs nocturnes des marécages, se taisaient. Soudain, à ma droite, contre moi, une grenouille coassa. Je tressaillis : elle se tut ; je n'entendis plus rien, et je résolus de fumer un peu pour me distraire. Cependant, quoique je fusse un culotteur de pipes renommé, je ne pus pas ; dès la seconde bouffée, le cœur me tourna et je cessai. Je me mis à chantonner ; le son de ma voix m'était pénible ; alors, je m'étendis au fond du bateau et je regardai le ciel. Pendant quelque temps, je demeurai tranquille, mais bientôt les légers mouvements de la barque m'inquiétèrent. Il me sembla qu'elle faisait des embardées gigantesques, touchant tour à tour les deux berges du fleuve ; puis je crus qu'un être ou qu'une force invisible l'attirait doucement au fond de l'eau et la soulevait ensuite pour la laisser retomber. J'étais ballotté comme au milieu d'une tempête ; j'entendis des bruits autour de moi ; je me dressai d'un bond : l'eau brillait, tout était calme.
    Je compris que j'avais les nerfs un peu ébranlés et je résolus de m'en aller. Je tirai sur ma chaîne ; le canot se mit en mouvement, puis je sentis une résistance, je tirai plus fort, l'ancre ne vint pas ; elle avait accroché quelque chose au fond de l'eau et je ne pouvais la soulever ; je recommençai à tirer, mais inutilement.

                Agité, je retombai au fond de ma barque. Comment cette ancre avait-elle pu s’amarrer si fortement ? Et cette eau trouble…Je m’essuyai le front de mes mains moites. Un frémissement me parcourut tout entier. Peut-être que, dans cette tête qui était mienne, mes pensées se brouillaient jusqu’à me faire voir des choses inexistantes, peut-être que tout n’était qu’illusion, peut-être que… Non, je ne voulais pas : je pensais normalement, j’avais toujours pensé ainsi. Plus calme, je me relevai.
               
                J’étais à la fois bouleversé et éberlué mais bientôt, ce fut l’angoisse qui prit le dessus. C’était le sentiment qui ressortait le plus du paysage qui s’offrait à ma vue. La brume s’était levée : à présent, je pouvais voir les rives parsemées d’arbres nus et gris qui résistaient à la bise glaciale. Des herbes sèches fouettaient leurs troncs .Une bourrasque particulièrement violente les secoua et arracha aux corbeaux posés sur leurs branches un cri rauque, poussé à l’unisson, qui me laissa glacé d’effroi. Un imperceptible mouvement attira mon regard. En fixant intensément la rive, je reconnus une ombre rappelant vaguement une silhouette féline. Elle me fixait elle aussi de ses pupilles ambrées, seule chose que j’étais certain de discerner en elle, seule tache de couleur dans ce sombre paysage. Je détournai difficilement les yeux de cette vision et reportai toute mon attention sur l’ancre.

                L’eau avait également changé. Elle était tellement transparente que je pouvais voir le fond, auquel manquaient les poissons et les algues. Un gouffre s’étirait dans le sens de la longueur. Mon ancre était fichée en son fond ! Comment avait-elle pu arriver là ? Elle n’était pas du tout assez longue ! Interloqué, je me penchai davantage ; je me penchai trop, même. Tout bascula autour de moi. Je me retrouvai dans l’eau, attiré vers le fond par une force invisible mais irrésistible. Je ressortis la tête et vis l’ombre et ses pupilles ambrées qui semblaient avoir avalé la barque. Bientôt, le ne vis plus rien.

Guy de Maupassant, pour le début en italiques tiré de la nouvelle fantastique "Sur l'eau"
L.  (Quatrième) pour la suite

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