Un récit policier à six mains : le point de vue de Newcomen dans l'affaire Hyde...
Le commissaire Newcomen
était assis dans son large fauteuil comme toutes les nuits depuis maintenant
deux ans. Il se tenait jambes croisées, sourcils froncés, la bouche pincée
comme chaque fois qu’une idée lui trottait dans la tête. C’était un bel homme,
encore jeune, issu d’une famille plutôt aisée. Il se présentait toujours chic
et élégant : il portait un costume noir, des bottines cirées, un haut de
forme : un vrai gentleman. Sa voix était rauque. Il possédait la manie
agaçante de claquer la langue contre son palais à tout moment. Néanmoins il
plaisait beaucoup aux dames grâce à son charisme d’homme sûr de soi. Il faut
dire qu’il avait tout réussi dans sa vie : sa carrière était brillante, il
tenait une belle place dans la société. Cet homme, assoiffé de gloire, ne
recherchait que la célébrité. Il voulait être le meilleur dans toutes les catégories.
Et quand il remportait la moindre réussite, il ne se privait pas d’en parler.
Il avait choisi la voie de la justice : quoi de mieux que de résoudre de
croustillants meurtres pour voir votre nom sur les lèvres de tout le monde ?
Cette nuit-là, son subordonné fit irruption dans
son bureau : « Une domestique a assisté à un meurtre », dit-il.
Intrigué, le commissaire corna la page de sa lecture puis suivit l’agent au
bureau principal. Sur une chaise se tenait une femme plutôt petite, le regard
vide, fixant un point inexistant. Newcomen s’était assis devant elle, la
faisant revenir à la vie. Elle l’avait fixé d’un regard sombre, presque
effrayant, et avait murmuré d’une voix étrangement calme : « M. Hyde.
C’était lui. Le meurtrier. Il l’a tué sous mes yeux. Un pauvre homme. Il ne s’est
même pas défendu. »
Newcomen avait l'habitude de ce genre d'affaire. Néanmoins
une difficulté se présenta : Hyde n’était inscrit sur aucun registre. Il
devait être nouveau dans le coin. Le commissaire se dirigea donc sur le lieu du
crime. Il inspecta le corps et les alentours. Sous la lumière crépusculaire,
les coups que la victime avait subis étaient à peine visibles. Sa bouche était
entrouverte et le sang qu'il avait perdu n'était pas encore sec. Son costume et
sa cravate étaient tachés de terre et de sang. Ses traits étaient détendus, il
semblait dormir. Le commissaire soupira et s’approcha de la victime. Il grimaça
en voyant l’état du visage de l’homme ;
il s’accroupit à sa hauteur. « Pauvre homme », murmura-t-il. Il
laissa son regard parcourir le corps du défunt. Il s’arrêta sur un bout d’enveloppe
qui dépassait de son manteau. Sa curiosité fut attisée et d’un geste rapide il
souleva l’habit. Une lettre avait glissé de l’une des poches. Il la prit, la
retourna et put y lire le nom d’un certain Utterson. Un sourire presque vorace
apparut sur les lèvres du commissaire. Il se releva précipitamment, brandit la
lettre au-dessus de sa tête et clama : « J’ai une piste ! »
Quelques minutes après, l’enquêteur découvrit un peu plus loin l’arme du forfait :
un morceau de canne. L’inspection terminée, le commissaire se promit d’aller
rendre visite à ce fameux Utterson dès la venue du matin.
C’est ce qu’il fit. Devant sa porte, Newcomen
toqua trois fois. Il fut bientôt introduit par un domestique auprès du
propriétaire, Utterson, notaire de son état. Il lui expliqua les faits et la
présence de son nom sur la lettre retrouvée sur le corps. Il vit que le notaire
était très intéressé par cette histoire, et qu’elle le rendait nerveux ; mas
le commissaire se promit de ne pas tirer de conclusions hâtives. Il tendit la
lettre à Utterson qui le remercia, la prit et l’ouvrit. Newcommen fut déçu :
le notaire n’en révéla pas le contenu. Le commissaire se contenta de claquer la
langue contre son palais. Il trouvait cet homme trop silencieux et bien trop
mystérieux. Il se fit la promesse de garder sur lui un œil attentif. C’est à ce
moment qu’Utterson releva la tête de sa lecture. Il demanda à voir le corps.
Entré dans la cellule où reposait la victime,
Utterson affirma le reconnaître : il s'agissait selon lui de sir Danvers Carew.
A cette annonce, le commissaire claqua à nouveau la langue contre son palais et
cria presque : « Un noble ? Alors cette affaire ne fera pas doubler
mais tripler ma réputation ! » Newcomen se sentit pousser des ailes.
Si il réussissait à arrêter le coupable, son nom apparaîtrait sur les lèvres de
tous les citoyens et ferait la une de tous les journaux. Il voyait déjà les
gros titres : «L'exploit du commissaire Newcomen ! », ou «L'arrestation de
Hyde par l'extraordinaire Newcomen !», ou « Le célèbre Newcomen récompensé pour
son incroyable arrestation d'un dangereux criminel !». Il surprit sur lui le
regard pesant d’Utterson et se ressaisit en adoptant un comportement plus
professionnel. Il désigna à Utterson l’arme
du crime. Ce dernier ne réagit pas mais Newcomen aurait juré avoir vu une lueur
de peur briller un instant dans ses yeux. Une pensée traversa l’esprit du
commissaire : « il est trop louche pour être innocent. Je mettrais ma
main à couper que cet homme est lié – volontairement ou non – à cette affaire. »
« Avez-vous identifié le meurtrier ? »
Newcomen posa fixement les yeux sur Utterson.
Pouvait-il lui dire ? Après tout, il le gardait à l’œil.
« Un certain Monsieur Hyde. Le connaissez-vous ? »
Les deux hommes s’affrontèrent du regard quelques
secondes puis Utterson avoua : « Effectivement je le connais. Et je
peux vous mener à ses appartements ». Voilà une chose de plus qui étonna
Newcomen : ainsi il connaissait le présumé agresseur ? Bien entendu
il ne refusa pas l’aide du notaire et c’est ainsi qu’ils partirent en direction
du logis de Monsieur Hyde.
Ils montèrent tous deux dans un cab ; durant
le trajet qui les menaient à Soho, les deux compagnons restèrent silencieux. Il
était neuf heures du matin mais le ciel était encore obscur. Le brouillard se
levait tout de même peu à peu pour laisser place aux quelques rayons de soleil
qui essayaient de percer. Arrivés au domicile du principal suspect, ils
sortirent du cab et restèrent immobiles un instant. La fraîcheur matinale
envahit le commissaire qui observait la façade lugubre de l'appartement. Le
quartier de Soho était l'un des plus pauvres de Londres. On se croyait dans un
autre monde, où le bonheur n'existe pas. Les habitants étaient renfermés,
froids, distants. Ils vous regardaient avec un air si hostile qu'il vous
faisait frissonner. Leurs vêtements étaient sales, trop petits. Il y régnait un
silence épouvantable, et de temps en temps le cri perçant d'une femme ou d'un
enfant battu venait vous glacer le sang.
Ils allèrent frapper à la porte de la bâtisse,
dépourvue de sonnette. Une vieille femme vînt ouvrir, M. Hyde n'étant pas là.
Utterson demanda à voir ses appartements mais elle refusa. Le commissaire dut
alors jouer sur son autorité. La vieille sembla éprouver de la joie quand elle
sut que Hyde avait des ennuis avec la police et les laissa entrer.
Il y régnait dans l’appartement un désordre
épouvantable qui venait sans doute du départ précipité du fugitif. Un grand lit
à baldaquin trônait au milieu de la pièce. Les tiroirs d'une commode et d'une
table de nuit en chêne étaient ouverts, l'un était à terre, renversé. Des
vêtements tâchés (certains de sang) jonchaient le sol, des objets cassés
avaient été jetés par terre et des papiers qui venaient d'être brûlés
remplissaient la cheminée. Sur les murs, des tableaux de grands peintres
recouvraient la vieille tapisserie.
D'après la vieille dame, cela faisait près de deux
mois que l'intéressé n'était pas venu, avant la courte visite de cette nuit.
Derrière la porte de sa chambre, Utterson reconnut l'autre moitié de la canne.
Le commissaire et lui se regardèrent un instant : cela venait confirmer
officiellement leur soupçon.
Le commissaire décida de publier un signalement de
Hyde. Il interrogea toutes les personnes l'ayant déjà rencontré, susceptibles
de le décrire. Car en effet, sa famille restait introuvable et il ne s'était
jamais fait photographier. Mais toutes les personnes ne répondaient qu'une
chose : l’air antipathique et diabolique qui se dégageait de ce petit être
était la seule image qui leur revenait à l'esprit...
Newcomen retrouverait le fugitif, il en était sûr.
Il se disait en lui-même : « j’aurai bien vite résolu cette affaire ! »
Hé bien, c’est ce qu’il croyait…
Anissa, Léa et Naïs, Quatrième
Si vous voulez connaître le fin mot de l'histoire, lisez Le cas étrande du Docteur Jekyll et de Monsieur Hyde, de Robert Louis Stevenson
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