Le
réveil sonna à six heures précises. Ce matin-là n’était pas
comme les autres. Elle l’attendait depuis déjà un moment. Il y
avait un mois qu’elle avait commencé à tout préparer, tout
planifier pour ce grand jour. Ce fut donc avec un sourire aux lèvres
et une bonne humeur non dissimulée qu’elle alla retrouver son
mari, en pleine réflexion devant son café depuis un bon quart
d’heure. Il avait l’air soucieux, comme s’il était en train de
se remémorer quelque chose qui lui tenait à cœur. Elle s’approcha
de lui en virevoltant. En temps normal, c’était une femme
heureuse, franche et d’un bon caractère. Elle aimait de tout son
cœur son mari, même si celui-ci restait quelque peu indifférent
aux petits mots ou attentions qu’elle lui adressait. Elle
l’embrassa sur le front, s’assit en face de lui et, la mine
réjouie, le regarda droit dans les yeux. Il consentit finalement à
lever les siens, et elle lui dit d’un ton joyeux :
« -Bon
anniversaire
mon
chéri… »
Il
resta comme abasourdi pendant deux à trois secondes, puis,
brusquement, avala son café et se leva. Il se dirigea vers la sortie
et, avant de partir, se retourna et articula un merci, froidement,
avant de claquer la porte. Elle fut d’abord surprise par sa
réaction, puis se dit, tout naturellement, qu’il devait avoir reçu
pas mal de coups de téléphone dans la matinée à cette occasion,
et qu’il en avait déjà assez qu’on lui souhaite un bon
anniversaire.
Toute
la matinée, elle s’activa à tout préparer dans le salon. Elle
avait tout prévu. Elle avait organisé cette journée depuis des
mois et elle l’attendait avec impatience. Elle sortit les
guirlandes et les bougies de son placard, arrangea les fauteuils et
les canapés comme elle l’avait planifié.
L’après-midi,
tout était prêt. Elle commença donc à s’occuper du gâteau
d’anniversaire. Elle le décora avec de petites pâtisseries, ainsi
qu’un énorme « 40 », trônant au milieu de la crème
chantilly. Pour être sûre que tout serait parfait, elle se fit
confirmer par téléphone que tous les invités viendraient bien à
la soirée organisée après le dîner au restaurant qu’elle avait
prévu de faire en tête-à-tête avec son mari.
Elle
s’était échinée à contacter tous les amis, proches ou éloignés,
les collègues de travail, et même les anciens camarades d’école.
En tout, ils seraient quarante et ce n’était pas par hasard. Ils
lui assurèrent qu’ils seraient tous là pour vingt-heures trente.
Son mari était né à vingt heures quarante-six.
Elle
passa une fois de plus en revue le moindre petit détail de ses
préparatifs. Elle s’aperçut tout à coup que la lumière du salon
avait quelque chose de particulier. En regardant mieux, elle comprit
que c’était l’ampoule de la vieille lampe pendue au plafond qui
donnait une vilaine couleur jaunâtre à l’ensemble des bougies.
Elle voulut la changer, mais regarda l’heure : il était
dix-neuf heures. Elle était en retard pour aller chercher son mari
au travail. Elle renonça à changer l’ampoule, attrapa son manteau
et se précipita hors de la pièce.
Son
mari ne parut pas enchanté lorsqu’elle lui annonça qu’elle
l’invitait au restaurant. Elle lui dit alors qu’il devait avoir
passé une longue journée, qu’un bon repas au restaurant lui
ferait du bien, et il finit par accepter. Elle faillit lui annoncer
qu’une surprise l’attendait en rentrant chez eux, mais réussit à
contenir son impatience. Il ne fallait pas gâcher la fête.
Le
repas se passa sans encombre, hormis le fait qu’il avait l’air
impatient d’en finir. Mais elle ne voulut pas tout de suite quitter
le restaurant, pensant qu’il était encore trop tôt pour partir.
Elle voulait laisser le temps aux invités d’arriver.
Ce
fut donc seulement vers vingt heures trente qu’ils sortirent enfin.
Son mari voulut prendre le volant de la voiture. Elle le laissa
faire, étant donné que c’était son anniversaire. Il roula vite,
prenant les virages trop serrés, et consultant sa montre en
permanence. Elle lui demanda alors si quelque chose n’allait pas
mais il répondit sèchement qu’il allait très bien. Elle se
crispa à son siège en regardant droit devant elle. Il savait très
bien qu’elle avait peur en voiture et pourtant il roulait beaucoup
trop vite. Elle s’imagina qu’il voulait arriver à la maison
avant l’heure de sa naissance ; elle s’en réjouit :
après tout, cela correspondait parfaitement à ses plans.
En
arrivant devant chez eux, elle se précipita hors de la voiture et
respira un grand coup. Son cœur battait à toute vitesse et, d’un
coup, elle prit peur. Il faisait sombre dans la rue. Seul un
lampadaire à la lumière blafarde éclairait vaguement le trottoir.
Elle se rasséréna en pensant à tous les invités qui attendaient
certainement avec impatience leur arrivée. Elle se retourna vers son
mari, se demandant ce qu’il fabriquait. Elle l’entendit qui
farfouillait précipitamment dans le coffre de la voiture. Elle se
retourna vers la porte de la maison en cherchant ses clefs dans son
sac. A nouveau elle eut peur. Elle se demanda ce qui lui arrivait ;
c’était idiot de sa part de paniquer ainsi pour un simple
anniversaire. Elle trouva sa clef, et au moment de la glisser dans la
serrure, se retourna brusquement. Une ombre terrifiante se dressait
au-dessus d’elle, brandissant une matraque. Le choc fut tellement
fort qu’elle n’eut pas le temps de crier. Elle eut l’impression
que sa tête allait exploser et s’effondra dans les bras de son
mari, dont le visage grimaçait, rayonnant d’une joie cruelle qui
lui transperça le cœur. Les secondes qui suivirent furent très
rapides. Ses tempes tambourinaient et elle se sentait partir.
Pourquoi ? Pourquoi l’avait-il assassinée ? Elle ne le
saurait jamais.
Elle
entendit son mari ouvrir la porte de la maison et, à travers le
brouillard qui emplissait ses yeux de plus en plus vite, aperçut la
lumière jaunâtre du salon, et les silhouettes des quarante invités
qui, brandissant leurs cadeaux à bout de bras, criaient en chœur :
« -Surprise ! »
Rachel (Troisième)
d'après "Cauchemar en jaune" de Friedrich Brown (avec changement de point de vue)
Excellent ce "cauchemar en jaune" qui appelle une suite ...........
RépondreSupprimerIl est vrai , que pour certaines personnes (homme ou femme) 40 ans est un véritable cauchemar et ils ne veulent pas de souhaits ou de cadeaux ! Alors une suite est-elle envisagée ? Le début est vraiment très prometteur !