"Septembre 1944 : des maquisards se préparent à la jonction avec l'armée canadienne à Boulogne-sur-mer"
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On était en début d'après-midi, il
faisait beau. Le soleil brillait dans le ciel et des oiseaux chantaient dans
les arbres mais un vent frais faisait bruisser les feuilles qui bordaient le
sentier. Une femme à vélo, l'unique présence humaine de ces lieux, inspira. La
lourde tâche qui la menait là contrastait avec ce beau temps paisible.
Le vent d'automne fit voler ses
beaux cheveux bruns de sous son béret, s'engouffra dans les plis de sa robe, la
faisant frissonner malgré son long manteau dont la manche portait ses galons de
lieutenant.
Enfin, elle s'engagea sur une
petite route goudronnée qui menait vers une grande ferme en brique. Elle
distinguait déjà la date en chiffres d'acier qui ornaient les murs du bâtiment
où elle avait rendez-vous. La jeune femme s'arrêta près d'un portail en bois et
descendit avec une facilité surprenante compte tenu de l'accoutrement dont elle
était vêtue. Abandonnant son vélo, elle s'engagea dans une petite cour ;
son sac en bandoulière lui barrait la poitrine, frappant contre ses jambes
nues.
Un groupe
d'hommes âgés de 19 à 25 ans, visiblement prêts à partir, l’accueillirent; ils
étaient tous armés. Ils avaient un visage étrangement serein et un regard qui
avait l'air d'avoir tout vu ; des horreurs qu'on ne pouvait décrire. Ces
hommes étaient au nombre de cinq, regroupés autour du plus petit parmi eux,
remarquable à sa tenue. Alors que tous portaient des habits que le temps avait
usé, lui arborait une chemise claire bon marché sous une veste marron de belle
allure. Un pantalon bouffant couvrait ses jambes pour disparaître au niveau des
genoux sous des bottes en cuir à la semelle abîmée. A son bras gauche, un
brassard avec le sigle de la résistance apparaissait ; le même que les
cinq autres et la jeune femme portaient.
D'un même
mouvement, ils se retournèrent vers elle, comme alertés de sa présence.
« Que veux-tu, lieutenant Jeanne ? » demanda
celui qui paraissait être le chef avec un sourire moqueur. Nous nous préparions
à partir, vois-tu ?
- Des informations ? s'enquit un homme.
- De mauvaises ou de bonnes nouvelles ? renchérit un
autre, qui semblait être le frère du premier autant par le physique que par
l'accoutrement et la manière de se tenir : tous deux portaient une longue
veste boueuse d'un gris sale.
- J'ai bien peur que ce ne soit de mauvaises nouvelles, lâcha
simplement la dénommée Jeanne.
C'est une très mauvaise idée d'y aller ce soir ; vous
feriez mieux de faire profil bas ! Ils se sont rapprochés ; ils ont
attaqués plusieurs bases et ils ont eu Jacques ! Sa voix monta légèrement
dans les aigus à la fin de sa phrase, faisant apparaître sa peur.
-Tu sais bien qu'on ne le peut pas ! Les canadiens
devront arriver ce soir et nous nous devons d'être présents !
- Tu sais aussi bien que nous les blessures que la guerre
peut infliger. Il faut que cela cesse! » C'était le plus vieux et le plus
sage qui avait parlé.
Jeanne remarqua ses traits
fatigués et son regard inquiet. Son béret et son écharpe sombres rendaient son
visage encore plus pâle.
« Oui, je ne le sais que trop bien »,
poursuivit-elle avec une voix douce. En disant ces mots elle caressa
machinalement la bague en or qu'elle portait à sa main gauche.
Avec un
soupir, elle sortit de des papiers de son sac.
« Ce sont les nouvelles instructions »,
expliqua-t-elle. Du vent souffla, faisant bruisser les pages dans ses mains
lorsqu'elle les tendit au jeune homme.
« On ne se reverra peut-être pas », commenta celui qui
portait un béret et semblait ne pas s'être rasé depuis plusieurs jours. Il eut
un petit sourire mais ses yeux restèrent ternes. Il avait résumé en ces
quelques mots ce qu'ils pensaient tous. Un frisson parcourut l'assistance mais
ce n'était pas à cause du vent.
«Viens donc là ma sœur », lâcha l'homme aux cheveux
gommés.
- Je t'aime...Je t'aime alors tu reviendras pour
moi », lui murmura-t-elle comme pour se rassurer, une fois dans ses bras.
-Je te le promets...
-Vous devez y aller maintenant », dit Jeanne après cette
brève étreinte.
- Dis à Marie et à Paul que je les aime, lui demanda le
barbu, et remets leur ceci, s'il-te-plaît. »Et il lui tendit une épaisse
enveloppe en papier marron.
« Je le ferai. »
Avec un sourire fatigué, elle les encouragea. Le groupe
partit alors, réparti dans deux voitures kaki. Jeanne resta là, à les regarder,
jusqu'à ce que la dernière disparaisse de sa vue, au tournant du sentier.
« Bonne chance », souffla-t-elle.
Mais en disant ces mots, elle sentit qu'elle ne reverrait
plus son petit frère.
Audrey B.
...
Marylin courut vers la petite bande.
Ils étaient cinq en la comptant et ils étaient tous partisans des FFI. Il y
avait Jack, grand, roux, avec une très grosse moustache rousse ; Jérome, petit,
curieux et toujours jovial ; et bien sûr Stéphane et Luc : des jumeaux qui avaient
la synchronisation et la rapidité dans le sang. Ils étaient tous réunis et
joyeux de voir arriver Marylin, avec ses informations quotidiennes sur le
déplacement et les actions des troupes ennemies. Mais aujourd'hui n'était pas
un jour comme les autres. Il fallait qu'elle les avertisse au plus vite.
- J'ai des informations
très urgentes à vous transmettre! Ils ne vont pas tarder à arriver!!
Trop
tard : à peine eut-elle le temps de finir sa phrase que l'alarme et les
cloches de la ville sonnèrent.
- NOON! cria Luc.
Son cri
fut couvert par l'explosion d'une ferme en haut de la colline. C'était la ferme de Jérôme ; son
visage devint rouge, passa par le vert puis enfin, tout blanc, il perdit
connaissance et tomba par terre : sa famille était dans la ferme qui était déjà
léchée par les flammes et envahie de fumée! Plus le temps de réfléchir, il
fallait contacter les canadiens, nos alliés, et les quelques membres des FFI
dans les communes voisines le plus vite possible.
- Que chaque résistant
me suive pour affronter les rangs et terrasser l'ennemi! dit Marylin en
insufflant par sa voix toute la conviction qu'elle avait.
Une
cinquantaine de personnes sortirent de leurs habitations pour savoir d'où
provenait l'explosion et suivirent la nouvelle leader des FFI.
- Il manque des armes!
Trouvez tous de quoi vous battre! Car aujourd'hui, aucun ennemi ne touchera
notre belle ville!! Appelez des renforts! Première vague qui part au front
prioritaire sur les armes! dit-elle en ayant l'air le plus autoritaire
possible.
Et
encore une fois, à peine eut-elle fini ses phrases qu'elle vit les centaines de
soldats ennemis sur les collines : ils étaient complètement dépassés par le
nombre. Elle
leva la tête et vit un nuage d'avions fondre sur eux.
Tout explosa autour d'elle, elle
crut que le temps s'arrêtait; elle vit des visages familiers passer devant ses
yeux, des maisons entières s'effondrer, des gravats tomber du ciel, des objets
voler en tous sens. Le mélange de fumée, de chaleur, et de poussière neutralisa
tous ses sens. Sa vue se troubla et elle ferma les yeux. Ce fut le noir.
La première chose qui la frappa lorsqu’elle
reprit connaissance était le silence : aucun cri, aucune explosion, le calme
complet... Mais la seconde chose qu'elle remarqua fut moins agréable : une
odeur de chair brûlée lui envahit ses narines. Elle ouvrit ses yeux l'un après
l'autre et un spectacle chaotique s'offrit à ses yeux: les décombres d'une
ville l'entourait. Il y avait un nombre inimaginable de gravats pleins de
poussière et des cadavres humains noircis par le feu.
Elle
se releva et se sentit si faible qu'elle retomba aussitôt par terre. Elle ne
savait ni la date, ni l'heure, et le pire était qu'elle ne savait même pas son
identité! Elle avait beau se concentrer, rien ne lui revenait ! Elle commença à
avoir peur. Il faisait nuit, quand soudain, elle vit une belle silhouette
robuste à travers la fumée - ou le brouillard, elle ne savait pas trop car elle
était trop fatiguée. Elle rassembla toutes ses forces et se mit à courir comme
elle put vers la silhouette ; il la vit enfin. Il était beau, musclé,
blond au yeux bleus et il avait une petite cicatrice sur la lèvre inférieure
qui ne le rendait que plus charismatique et viril. Il avait l'air surpris et
curieux. Elle plongea ses petits yeux couleur châtaigne dans les grands yeux
stupéfaits, bleu océan - elle, qui était déjà assez perdue ainsi, se noya dans
ces yeux si spéciaux et beaux. L’homme rompit ce moment de rêverie et il la
porta enfin dans ses bras si musclés. Il avait sur son joli costume noir un
drôle de bandeau rouge avec une croix noire et tordue sur un fond blanc. Elle
ferma les yeux et elle sombra enfin dans un sommeil profond croyant qu'elle
était en sécurité...
E. D.